En cette fin de semaine, il faut puiser dans ses dernières ressources pour prendre la route. La pluie battante nous frappe dès le départ et j’essaye d’être convaincante pour dire “80 km ce n’est rien, 45 mn de route. Pfff… comme si on habitait en banlieue Parisienne”. Au bout de la nuit, les gouttes se sont arrêtées, respectueuses de notre fatigue. Au milieu de nulle part, les lumières du chapiteau nous accueillent. Jean Varela, directeur de Sortie Ouest, programmateur de la soirée, est là pour nous saluer.

Les gradins de bois sont remplis d’enfants, car le cirque est toujours un peu leur univers de prédilection.

La compagnie Rasposo, signifie “mal rasé” en portugais. Elle est singulière et ce jeune public n’est pas prêt de l’oublier. Wim Wenders avait crée “Les ailes du désirs” avec la magnifique trapéziste Solveig Dommartin. Nous pourrions imaginer que nous avons un nouvel ange, plus battant, Marie Molliens, fildefériste. En 1987, on s’envolait dans des pensées philosophiques et esthétiques. En 2014, la force et la volonté prennent le pas, envers et contre tout, sur la tension d’un fil. Les équilibres sont maintenus malgré tout.

Le cadre est posé. Nous allons nettoyer notre fort intérieur avec Marie, personnage central de la soirée. Tout tourne autour d’elle. Elle est belle, lumineuse, athlétique.

La brume laisse annoncer une athmosphère inquiètante. Celle de la tension. Marie utilise l’ image d’une femme fatale, dans une élégance surannée. Le champ de la séduction explore la relation homme femme, entre douceur et rapports de force.

Un lavabo pour laver la peau, enveloppe perméable qui absorbe tous les maux et qui protège aussi. Un grand miroir pour pouvoir encore se regarder en face. Des grilles à escalader à la taille des étapes à franchir. Le plateau plante le décor.

Le travail de cette compagnie est intense. Elle nous entraine dans une mise en scène savamment orchestrée par des musiciens, et une chanteuse aux capacités vocales étonnantes, tantôt instrumentale imitant le saxophone ou cantatrice d’opéra.

Nous cheminons dans différentes scènètes, entre jeux d’équilibre et de force, le tout enveloppé de beauté sobre.

Nous sommes dans une vision sur la vie, la condition féminine, ses bonheurs et ses combats.

Comme dans un feu d’artifices, nous allons être éblouies par le final. Une cage se dresse. Les artistes se retrouvent piègés comme des rats de laboratoire. Mais un grand filet blanc tombe du ciel. Il représente le maillage qui relie tout. Un à un , ils s’échappent en s’agrippant aux mailles. Et la liberté leur est donnée. Celle de créer espère t’on.

Du miroir, un grand tigre surgira. Il va faire front à une dompteuse qui porte élégamment sur ses épaules une veste traditionnelle. Elle est à l’image des amazones, qui ne baissent jamais les yeux face aux défis. Sa démarche clodique mais elle a la rage d’être toujours debout, belle.

L’animal est docile entre deux rugissements. Digne félin, descendant du lion de la Metro Goldwin Mayer, il métaphorise parfaitement l’objet de tous les combats que la vie nous fait rencontrer. Mais comme dans une fable, tout se joue.

Le cirque Rasposo, troupe familiale au complet m’avait enchantée, il y a quelques années, dans “le chant du dindon”. La relève est faite grâce au travail de Marie, sirène circassienne, qui mène sa barque comme une caravelle de pirates.

Le travail et le charme opère parfaitement et nous en sortons, comme après une tempête où la mer est d’huile, apaisés et heureux.

Sylvie Lefrere
Le 21-12-2014 à Nissan-lez-Ensérune