J’ai eu la chance d’assister à une représentation de “Morsure”, de la Compagnie Rasposo, à Biscarrosse.

Avant le début du spectacle, une épaisse fumée envahit tout l’espace.

Comme une invitation au brouillard, une immersion dans le monde onirique – celui d’une troupe de cirque ? celui, intime, du lavabo+miroir ? – qui nous invite à oublier l’Autre (on ne voit pas les spectateurs qui nous accompagnent dans ce voyage) pour ouvrir les portes d’un univers fantasmé.

Le son est là. Ni musique ni voix rauque de fauve tapi dans l’humidité ni respiration mécanique d’une machine à inventer. On devine que cette atmosphère sonore va nous accompagner longtemps. Et on s’accroche à cette idée.

Puis le vrai spectacle commence. Et en une phrase sans paroles, les trois grands ingrédients sont présentés de manière aussi simple que brutale = Elle (la femme, fiancée ou épouse, celle qui accepte et refuse, celle qui semble se chercher ailleurs que dans son propre reflet), La Musique (tout un jeu de sonorités, s’amusant à nous transbahuter sans ménagement entre une scène de musichall rêvée et un déchirement intérieur, intime, inéfable), Le Poids de la réalité (le vase qui se brise sans avoir contenu de fleurs résonne à chaque nouvelle prise de risque du corps de Elle).

Puis chacun va naviguer, au gré des désirs, des refus, des rêves, des constatations cyniques, des impossibilités, des efforts constants pour atteindre la pureté interdite, pour finir l’incomplète réalité, chacun va naviguer avec cette femme comme une figure de proue. Jusqu’à la métaphore féroce, impitoyable, renversante, d’une tendresse infinie qui va nous permettre – nous spectateurs pris dans le tourbillon des expressions émotionnelles un peu malgré nous, comme des bêtes en cage qu’on voudrait dompter à coups d’images et de vertiges – de remettre dans le bon sens la dualité réalité/reflet – amour/blessure.

Comme dans une tragédie classique, les autres personnages figurent en filigrane des enjeux intimes de la femme. Comment ne pas penser à Garcia Lorca avec la présence de cette pseudo-mère, “femme qui est passée par là aussi” et qui pousse sa fille dans le même chemin, comme une dompteuse.

Comment ne pas penser à Brecht avec cette éblouissante maîtresse de cabaret, contre-voix constante, générosité incarnée, métaphore flamboyante du bonheur accessible ?

Et comment ne pas penser aux siècles de blessures infligées par ces organismes brutaux, ivres de muscles et de rires, dont les combats de coqs suffisent, à eux seuls, à justifier un spectacle de cirque dans la pure tradition de l’exploit ?

Fausto Olivares
18-07-2013 à Biscarosse