Ce que l’on emmène avec soit, une fois la piste vidée, maintenant que le artistes (nous pourrions les appeler les officiant.e.s, tant ce à quoi nous venons d’assister joue avec les dynamiques du rituel), maintenant que les artistes donc nous ont laissé seul.e.s dans la résonance du spectacle qui vient de se clore; ce qu’il nous reste, au moment de quitter gradins, chapiteau et rejoindre le reste du monde, c’est cette mélodie, cette légère chanson qu’interprète Doris Day “Que sera sera”.

Cette rengaine accompagne discrètement la sortie du public, comme un mantra feutré, une injonction délicatement hypnotique.

Ce qui sera, sera. C’est sur ces derniers mots que nous laissent les jeunes artistes de la 34 eme promotion du CNAC avec leur pièce Balestra

Ce qui doit advenir, arrivera. Ce qui est, est.

Et c’est en ça que Balestra exprime sa puissance circassienne génétique: ce qui est, est.

Une ode au temps présent, à l’instant présent, un rituel poétique du réel incompressible; autrement dit le cirque dans ses lettres de noblesse.

Les corps sont affutés, puissants et fragiles, précis et joyeux. Les êtres sont là, ne peuvent pas ne pas être là.

Ils et elles s’offrent dans une conjugaison sensible de toutes les dimensions de l’espace et du temps.

Les corps jubilent et nécessairement nous avec: vertige de l’empathie; ADN de l’art du cirque.

Balestra s’est le cirque qui s’exprime et s’affirme. Nous voilà réunit, interprètes et public, pour une poétique de l’exploit, la liesse du dépassement de soi pour la beauté du geste, sans compétition, sans besoin de vaincre, mais au contraire avec le gout l’expérience sensible et multiple que nous faisons du monde.

C’est cette poésie qui nous émeut au cirque: l’aventure au delà des limites qui conditionnent nos vies.

C’est cela que fête le cirque: la beauté du “Je suis en vie”

Et la jeune équipe de Balestra nous y invite parfaitement.

Brillance technique indompté de la jeunesse. Et c’est un appel d’air. On souhaiterait que le monde entier soit pris dans cette aspiration. Que la peur soit une facteur parmi d’autres; mais que surtout la joie soulève et disperse les fardeaux du monde. 

Cette généreuse réussite doit évidement beaucoup à la mise en scène de Marie Molliens

là aussi, beauté, puissance et délicatesse.

On pourrait si nous le souhaitions, parler de rituel poétique davantage que d’un spectacle parmi d’autres dans l’industrie de la productions de spectacles.

Et cette puissance poétique nous convoque et nous nourrit.

Mais c’est parce qu’il y a beaucoup de délicatesse que la puissance n’est jamais violente et que nous pouvons aussi parler ici de spectacle sans qu’il soit question de compromission dans l’entertainment de la culture sourde, aveugle et muette.

Non, Balestra, sans aucun doute, voit, écoute et nous parle. La mise en scène nous parle, calmement -même dans le feu-, nous guide de loin dans nos expériences personnelles et singulière de spectateur/trice/s, et nous rend témoin à fleur de peau d’un métamorphose autant intime que ontologique.

Le motif principal, le Pierrot de la pantomime, répond parfaitement à cet état qui peut être parfois le notre dans ce monde et cette époque brutale et sourde aux appels du vivant

La tristesse emblématique de cette figure traditionnelle renvoie à notre propre tristesse de société et, pourquoi pas, individuelle dans cette société

“Qu’est-ce que je fais là?” serions nous en droit de nous demander. 

Quel est ce monde qui semble si cruel (et froid et ennuyeux), qui ne me laisse (semble-t-il) que le choix de la tristesse ? 

Marie Molliens nous offre une mise en scène de la métamorphose.

Et la tristesse des êtres que portent les corps de cette multitudes de Pierrot, craquelle lentement et inexorablement comme une graine dont dont le germe cherche la terre nourricière.

Il s’agit donc bien de vivre; et seul notre orgueil sapiens nous empêcherait d’en prendre conscience: Vivre impose de lutter !

Et pour autant il est tout à fait possible -voire souhaitable- de savoir entrer dans la lutte du vivant par la joie !

Savoir vivre par la joie et non pour la joie pourraient être le mots qui transpirent de Balestra.

Mais Balestra n’a pas besoin de mots: les corps, l’espace, le temps, s’articulent dans s’articule pour une alchimie poétique galvanisante.

Longue vie à Balestra !

Longue vie à ces jeunes artistes qui nous viennent !!

Pierre Tallaron