Oraison

Intrépide, la troupe pénètre sur la piste :

Platines et paillettes électrisent le cirque

Car, ce soir, Rasposo fait son numéro.

Se mêlent dangereusement jeux de cerceaux et jeux de maux.

Puis, un voile d’ombres maquille de ténèbres

La fragile fildefériste qui avance prudemment

Sous le léger bruissement d’un soleil de parade.

Poussière de vie, mortelle étoile,

Unique, elle avance à la recherche d’un sens,

Et évite de peu la céleste pluie charbonneuse.

Ce soir, le cirque Rasposo joue son numéro.

Tandis que le violon lance ses cris lancinants,

Nos oreilles et nos yeux se perdent dans l’infini.

Boîte à musique et cage de verre nous oppressent

Sous les flammes incandescentes d’un feu ancestral

Qui nous conduit peut-être

Vers la folie des âmes nues et sans sommeil.

La lame brille, elle claque et c’est la débâcle :

Ce soir, sous le chapiteau, Rasposo fait son numéro.

Les couteaux volent et frôlent les corps dépourvus

Qui rampent et réclament le feulement de la lame mortelle.

Sur les décombres d’un monde ancien,

Avidement, nous perdons tous la raison :

Le mirage des petits visages de porcelaine en habits de lumières s’éloigne…

Ce soir, Rasposo a donné son oraison.

Et, nos esprits confondus, par ce songe profond,

Spectateurs orphelins, offerts en pâture à la rue,

Nous retournons vers nos pauvres vies décharnées

Exposées en vitrine, au théâtre, ce soir.

 

Impressions

« La valeur des choses n’est pas dans la durée, mais dans l’intensité où elles arrivent. C’est pour cela qu’il existe des moments inoubliables, des choses inexplicables et des personnes incomparables. » (Fernando PESSOA)

Je ne suis pas journaliste spécialiste de l’art, encore moins poète. Même si mon métier est fait de paroles, il m’est parfois difficile de dire alors je préfère écrire car c’est dire aussi mais, à distance.

J’ai eu le privilège, Dimanche, d’assister à la représentation d’Oraison. Ce spectacle m’a profondément émue et emportée dans une turbulence d’émotions.

J’ai aimé, à en perdre la raison, le cynique détournement du cirque traditionnel : j’ai vu à l’œuvre la véritable poésie de la cruauté où sublime et grotesque s’entremêlent, plus que de raison.

J’ai aime la beauté et la force des corps dénudés, la légèreté et la violence des numéros, l’évanescence et la sauvagerie qui, à tout instant, ébranlent la scène. L’orgue de barbarie l’emporte peut-être sur le violon et les platines parce qu’il n’a jamais été aussi bien nommé. Oraison est une orgie déraisonnable pour tous les sens et pourtant, son souffle euphorisant nous aide à croire que la vie recèle encore quelques merveilles.

J’ai aimé le final douloureux comme une mise en abîme de l’Art : le chapiteau s’ouvre et, armés de leurs habits de lumière, les artistes s’éloignent. Nos applaudissements ont eu beau être à tout rompre, sourds à nos prières, ils ne sont pas revenus. Derrière la vitre du théâtre, ils s’étaient transformés en chef d’œuvre inaccessible. Et, nous, nous étions tous devenus des spectateurs orphelins, expérimentant le vide d’une vie où l’art et l’artiste n’existent pas.

Je vous remercie pour ce spectacle, à voir et revoir, oh, pour mille raisons !

Je vous remercie aussi pour mon enfant de 8ans qui ne s’est jamais autant posé de questions que durant votre prestation.

 

Ambre PRADES

 

Janvier 2023 à Perpignan – Théâtre de l’Archipel